La brasserie Dow The Dow brewery

Le baseball québécois et la Grande Dépression : La Brasserie Dow à la rescousse

par Christian Trudeau

(English follows)

Dans les années 1930, alors que la Grande Dépression frappe durement le Québec, le baseball est bien plus qu'un simple loisir : c'est une échappatoire, un moment de répit dans une époque marquée par le chômage et l'incertitude. Au cœur de cette histoire se trouve la Brasserie Dow, une entreprise qui, au-delà de son rôle de producteur de bière, a joué un rôle central dans la promotion du baseball dans la province.

Fondée en 1790 par Thomas Dunn à Laprairie, la Brasserie Dow déménage à Montréal en 1809 et engage le brasseur écossais William Dow. Avec les années, elle devient un pilier de l'industrie brassicole québécoise, fusionnant avec la Brasserie Dawes en 1909 pour créer la National Breweries Co. Dans les années 1930, elle domine le marché de la bière au Québec.

Le retour des Royals de Montréal en 1928 et la construction du Stade DeLorimier avaient suscité beaucoup d'enthousiasme, mais la crise économique, alors que le taux de chômage atteint 26.4% en 1932, pèsent lourd et même les institutions sportives sont menacées. La fréquentation du stade chute dramatiquement, et les équipes locales peinent à survivre. C’est dans ce contexte qu’entre en scène Ubald Rose, un ancien joueur talentueux, ayant notamment joué professionnel dans la ligue de l’Est du Canada, maintenant devenu représentant de la Brasserie Dow. Il est chargé en 1934 d’organiser une équipe itinérante pour parcourir la province et raviver la flamme du baseball québécois.

L’équipe de la Brasserie Dow, composée d'un mélange de vétérans et de jeunes recrues, commence sa tournée estivale avec des matchs gratuits à travers le Québec. Les recettes sont systématiquement reversées aux équipes locales, une initiative généreuse qui bénéficie tant aux amateurs qu’aux petits clubs. La vedette de l’équipe est Ovila Lahaie, un des premiers Québécois à s’exiler pour son art, ayant lancé pendant huit saisons dans les ligues mineures. Les autres vétérans de l’équipe sont Ray Cutter, un joueur de deuxième-but qui avait obtenu un essai au camp des Pirates de Pittsburgh 12 ans plus tôt, et Eugène Leduc, un lanceur vedette sur la scène locale.

Ubald Rose

Ovila Lahaie

Ray Cutter

Eugène Leduc

Le moment emblématique de cette saison reste le match contre Lachine, joué au Stade DeLorimier le 9 août 1934. L’entrée est gratuite, à l’exception de quelques sièges premium vendus pour 0,25 $. Malgré une défaite de 9-5, l’événement est un succès retentissant, attirant une foule qui, pour beaucoup, découvrait pour la première fois l’ambiance électrisante d’un match de baseball nocturne. On estime la foule à 28,000 spectateurs, probablement la plus imposante dans l’histoire canadienne jusque-là. De plus, près de 5,000 autres spectateurs se voient refuser l’accès au stade archi-comble. Au cours des saisons 1934 et 1935, l’équipe organisera une demi-douzaine de programmes au stade, attirant toujours des foules importantes. Au total, la saison 1934 se conclut avec une fiche de 32-3.


Paul Martin

L’année suivante, en 1935, l'organisation devient encore plus professionnelle. Les entraînements commencent plus tôt, les joueurs sont mieux préparés, et de nouvelles recrues viennent renforcer l’équipe, dont Paul Martin, au tout début d’une longue carrière, et Charlie Larivière, frère du receveur Ed «Wingo » Larivière, ancien des ligues majeures. 


Une tournée ambitieuse est organisée, emmenant l'équipe jusqu’au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et même dans l'État du Maine, où chaque match devient une occasion de collecter des fonds pour des œuvres locales. À la fin de cette saison, l’équipe affiche un bilan impressionnant : 59 victoires, 7 défaites et 3 matchs nuls, avec une assistance totale de 285 000 spectateurs et plus de 5 700 milles parcourus sur les routes.  Cependant, les temps changent. La Ligue provinciale de baseball connaît un grand succès et refuse de jouer contre l’équipe Dow. Cela la forcera à recruter de plus en plus de joueurs américains et ontariens, et de trouver des adversaires à l’extérieur de la province, notamment la fameuse équipe itinérante House of David.



L'équipe et ses proches au départ de son long voyage

Voyons les succès de la ligue Provinciale, la Brasserie Dow met fin aux activités de l’équipe et choisit plutôt d’investir dans le développement local du baseball. Chaque année, elle consacre l’équivalent de 4,5 millions de dollars d’aujourd’hui à la construction de terrains, à l’achat d’équipements et au soutien des équipes locales. Elle fournit aux équipes amateures un accès à des instructeurs certifiés et à des ingénieurs pour améliorer la qualité des terrains. Par exemple, en 1937, la brasserie fournit 2,600 uniformes complets, 150 ensembles de buts, 125 pare-balles et 125 tableaux indicateurs.

L’héritage de la Brasserie Dow dépasse le simple cadre sportif. Elle devient également commanditaire des matchs des Royaux de Montréal à la radio, contribuant à populariser le baseball auprès d'un public encore plus large. Le premier commentateur des matchs, Michel Normandin, était un vendeur pour Dow. 

Le baseball québécois connaîtra un âge d’or après la deuxième guerre, notamment avec les succès des Royaux à Montréal et ceux de la ligue Provinciale et Laurentienne en province, avant un déclin dans la deuxième moitié des années 50. La Brasserie Dow, rachetée par Canadian Breweries en 1952, ne survivra pas à un scandale qui la transforme en bière qui tue. Elle sera rachetée par O'Keefe en 1967, marquant la fin d’une époque glorieuse.

L’équipe de baseball de la Brasserie Dow n’était pas seulement une équipe de joueurs talentueux, c’était une force motrice pour le développement du sport au Québec. Grâce à cette initiative, le baseball est devenu bien plus qu’un jeu : c’était un symbole d’espoir et de résilience dans une période où la province en avait le plus besoin.

Quebec Baseball and the Great Depression: Dow Brewery to the Rescue

In the 1930s, as the Great Depression hit Quebec hard, baseball was much more than just a pastime—it was an escape, a moment of relief in an era marked by unemployment and uncertainty. At the heart of this story is Dow Brewery, a company that, beyond its role as a beer producer, played a central role in promoting baseball in the province.

Founded in 1790 by Thomas Dunn in Laprairie, Dow Brewery moved to Montreal in 1809, hiring Scottish brewer William Dow. Over the years, it became a pillar of Quebec’s brewing industry, merging with Dawes Brewery in 1909 to create the National Breweries Co. By the 1930s, it dominated the beer market in Quebec.

The return of the Montreal Royals in 1928 and the construction of DeLorimier Stadium generated significant excitement, but the economic crisis, with an unemployment rate reaching 26.4% in 1932, cast a shadow over these successes. Stadium attendance dropped dramatically, and local teams struggled to survive. It was in this challenging context that Ubald Rose, a talented former player who had competed professionally in the Eastern Canada League, stepped onto the scene. By 1934, now a representative for Dow Brewery, he was tasked with organizing a barnstorming baseball team to travel across the province and reignite Quebec’s passion for baseball.

The Dow Brewery team, composed of a mix of seasoned veterans and young recruits, began its summer tour with free games across Quebec. The proceeds were systematically given back to local teams, a generous initiative that benefited both fans and small clubs. The star of the team was Ovila Lahaie, one of the first Quebecers to venture abroad for his craft, having pitched for eight seasons in the minor leagues. Other veterans included Ray Cutter, a second baseman who had once tried out for the Pittsburgh Pirates, and Eugène Leduc, a renowned local pitcher.

One of the most iconic moments of this season was the game against Lachine, played at DeLorimier Stadium on August 9, 1934. Entry was free, except for a few premium seats sold for $0.25. Despite a 9-5 defeat, the event was an overwhelming success, drawing an estimated 28,000 spectators, possibly the largest baseball crowd in Canadian history at the time. An additional 5,000 fans were reportedly turned away from the overflowing stadium. Throughout the 1934 and 1935 seasons, the team organized several major events at the stadium, consistently attracting large audiences. The 1934 season concluded with an impressive record of 32 wins and 3 losses.

The following year, in 1935, the organization became even more professional. Training sessions started earlier, players were better prepared, and new recruits strengthened the team, including Paul Martin, at the start of a long baseball career, and Charlie Larivière, brother of Major League veteran catcher Ed "Wingo" Larivière. An ambitious tour took the team to New Brunswick, Nova Scotia, and even the state of Maine, where every game became an opportunity to raise funds for local charities. By the end of the season, the team had achieved an extraordinary record of 59 wins, 7 losses, and 3 ties, attracting a total of 285,000 spectators and covering over 5,700 miles on the road.

However, times were changing. The Provincial Baseball League experienced great success and refused to play against the Dow team. This forced the team to recruit more players from Ontario and the United States and to seek opponents outside the province, including the famous House of David barnstorming team.

Recognizing the league's success, Dow Brewery decided to disband its team and instead focus on developing baseball locally. Each year, the brewery invested the equivalent of $4.5 million in today’s currency in building fields, purchasing equipment, and supporting local teams. Amateur teams were given access to certified coaches and engineers to improve field conditions. For example, in 1937, the brewery provided 2,600 full uniforms, 150 sets of bases, 125 backstops, and 125 scoreboards.

Dow Brewery’s legacy extends beyond sports. It became a key sponsor of Montreal Royals radio broadcasts, helping to popularize baseball with an even wider audience. The team’s first commentator, Michel Normandin, was himself a Dow salesman.

Quebec baseball experienced a golden age after World War II, particularly with the success of the Royals in Montreal and the Provincial and Laurentian leagues across the province, before experiencing a decline in the late 1950s. Dow Brewery, acquired by Canadian Breweries in 1952, would not survive a scandal in the mid-1960s linked to a fatal health issue associated with its beer. It was later bought by O'Keefe in 1967, marking the end of a glorious era.

The Dow Brewery baseball team was not just a group of talented players—it was a driving force for the development of baseball in Quebec. Through this initiative, baseball became far more than just a game; it became a symbol of hope and resilience in a time when the province needed it most.