Chappie Johnson

Les aventures québécoises de Chappie Johnson et de ses équipes afro-américaines

par Christian Trudeau

Quand Branch Rickey a signé Jackie Robinson pour la saison 1946, c’était un heureux hasard que le principal club-école de l’équipe était à Montréal, où il a été très bien reçu. Quelques années plus tard, la ligue Provinciale allait devenir une terre d’accueil pour les vétérans des Negro Leagues. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet accueil, mais un aspect négligé est la présence, presque une génération plus tôt, de Chappie Johnson et de son équipe afro-américaine. Pendant une décennie à partir de 1927, il fera sentir sa présence dans la province, en y établissant son équipe pendant plus de 4 ans, puis en fournissant des joueurs. Il a amené d’excellents joueurs, jouant un peu partout dans le sud de la province. Si son équipe est restée 100% afro-américaine, certains de ses joueurs se sont retrouvés avec des équipes québécoises. Des incidents disgracieux ont sûrement eu lieu, mais l’impact des Chappies est très positive : leur nom est synonyme de qualité et de victoire, et 15 ans après leur départ de la province, on trouvait encore des traces d’eux dans le vocabulaire québécois. Après avoir brièvement établi le contexte dans lequel arrive Chappie, ce texte racontera son épopée en sol québécois, puis discutera des joueurs ayant été soutirés à Chappie par des équipes québécoises, avant de conclure par un examen de ses impacts culturels.

Chappie Johnson avant 1925

Né en 1877 en Ohio, George ‘Chappie’ Johnson aura une carrière d’une vingtaine d’années comme joueur pour diverses équipes afro-américaines, se faisant une réputation comme un excellent receveur défensif. Il joue notamment avec Rube Foster, Sol White, Pete Hill, Joe Williams et Pop Lloyd, tous intronisés à Cooperstown. Déjà dans la quarantaine quand les Negro Leagues s’établissent, Chappie se dirige plutôt vers les circuits inférieurs et semi-organisés, où il agit comme propriétaire et gérant. Lorsqu’on fait mention de lui une première fois dans les journaux québécois, c’est en 1925, alors qu’il dirige un club qui porte son nom, les Chappies, basé à Schenectady dans le nord de l’état de New York. Ils sont en visite à Sherbrooke pour une série de trois matchs. Ils l’emportent 12-2 et 8-2 contre l’équipe locale, le troisième match étant annulé par la pluie. Les journaux n’hésitent pas à dire que c’est le meilleur club vue en ville, même supérieur aux Braves de Boston, venus à 2 reprises dans la capitale des Cantons-de-l’Est, en 1920 et 1923.

Le baseball québécois dans les années 1920

Les Royaux ayant cessé leurs activités en 1917, la province se retrouve sans équipes professionnelles pour une partie de la décennie. L’Eastern Canada League (1922-23) et la Quebec-Ontario-Vermont League (1924), toutes deux de calibre B, donne du bon baseball à travers la province, mais en 1925, on se retrouve avec de fortes ligues semi-professionnelles à Montréal, et de bons clubs à travers la province, mais peu de structure.

Le Québec a connu une première vague de visites de clubs afro-américains ambulants à la fin des années 1910. Fortement populaires, ces équipes vont revenir bon an mal an et attirer de belles foules. Les Manhattan Giants vont même passer l’été 1920 dans la province, se rebaptisant les Quebec Royals pour l’occasion. Certains joueurs, comme Charlie Culver et Chick Bowden, vont même s’établir de façon permanente au Québec, Culver jouant même six matchs dans l’Eastern Canada League en 1922. Le Québec est donc déjà bien au fait du baseball afro-américain à cette époque, mais Chappie Johnson allait pousser la relation à un autre niveau.

1927 : à la rescousse de la ligue de la Cité.

Au début juillet 1927, sans plus d’explications, on apprend que Chappie Johnson vient s’installer à Montréal : il publie une annonce mettant au défi les meilleurs clubs de la province, et il peut déjà être rejoint à une adresse sur Saint-Antoine.

Son timing est impeccable. En 1927, deux ligues semi-professionnelles se battent pour l’attention des montréalais : la ligue de la Cité, plus ancienne et mieux établie, et la ligue Guybourg, plus récente. C’est peut-être un peu trop pour la ville, et un des clubs la ligue de la Cité, le Saint-Henri, n’arrive plus à suivre et jette l’éponge. On offrira la place à Chappie, qui est confiant même s’il hérite de la fiche de 3-6 du Saint-Henri. Il n’hésite pas à affirmer qu’il permettra à la ligue de doubler ses assistances d’ici un mois.

Tout est en place pour un grand succès : les Chappies, avec leur shadowball, donnent un spectacle avant même le début du match. Le shadowball est une pratique courante chez les équipes afro-américaines, durant laquelle les joueurs font semblant de frapper, attraper et lancer une balle invisible. Sur le terrain, ils ont une équipe impressionnante : le receveur Duke Lattimore et l’arrêt-court Babe Hobson étant ceux qui impressionnent le plus les médias. Les deux ne joueront que brièvement dans les Negro Leagues, restant fidèles à Chappie pour une grande partie de leur carrière. Certains joueurs ont moins de publicité, malgré de plus grande carrière : le deuxième-but Frank Forbes, avec de bons clubs dans les années 1910, le lanceur Wayne Carr, qui se promenait entre les Chappies et l’Eastern Colored League. Chappie semblait d’ailleurs avoir ses entrées avec les Brooklyn Royal Giants, de cette même ligue, amenant le voltigeur Country Brown en fin de saison. Agustin Parpetty, un vétéran frappeur cubain en fin de carrière, viendra aussi porter main forte au club. Parpetty sera élu au temple de la renommée du baseball cubain en 1983. Chappie a aussi en main quelques bons prospects, notamment le voltigeur Ted Page, qui jouera au champ droit pour une des meilleurs équipes de l’histoire, les Crawfords de Pittsburgh de 1933 et 1934, au côté de Josh Gibson, Oscar Charleston, Cool Papa Bell et Satchel Paige

Chappie a besoin de tous ces renforts, car le club Ahuntsic lui donne du fil à retordre. Menés par Culver, Bowden et le lanceur Rusty Yarnall, qui la saison précédente avait lancé une manche pour les Phillies de Philadelphie, l’Ahuntsic réussit à prendre quelques matchs aux Chappies. Rapidement, cette rivalité prend toute la place, attirant de grandes foules et éclipsant la ligue Guybourg et les autres membres de la ligue de la Cité. Les deux équipes s’affrontent en finale, et se partagent les 2 premiers matchs. Le dernier match est à égalité 3-3 en 9e manche quand Ahuntsic marque 4 fois pour se sauver avec le championnat.

Un épisode un peu étrange survient lorsque les Philadelphia Giants, de passage en ville, les mettent au défi pour le titre de champion mondial des équipes de couleur. Les Chappies refuseront de les rencontrer, sans qu’on sache trop si on ne s’est pas entendu sur le partage des revenus ou si Chappie croit avoir trop à perdre dans cette histoire.

La saison est un succès, sur le terrain et pour les coffres de la ligue. Le retour de l’équipe en 1928 est annoncé, et Chappie et son joueur vedette Babe Hobson vont même passer l’hiver à Montréal.

1928 : Trop gros pour la ligue

La scène du baseball montréalais a changé considérablement en un an : les Royaux sont de retour dans la ligue Internationale dans leur parc Delorimier flambant neuf, alors que la ligue Guybourg a cessé ses activités. Les Chappies, après un mois d’entraînement dans le sud des États-Unis, sont prêts pour une autre saison de la ligue de la Cité.

Les Chappies ont sensiblement la même équipe qu’en 1927. Un ajout de taille est le jeune Dick Seay, un superbe joueur défensif au 2e but. Il fera partie, une décennie plus tard, du Million Dollar Infield des Eagles de Newark, aux côtés de 3 joueurs qui seront intronisés à Cooperstown : Mule Suttles, Willie Wells et Ray Dandridge.

Profitant de l’intérêt provincial pour leur rivalité, les Chappies et Ahuntsic annoncent une tournée de 7 matchs en province. La ligue de la cité en souffre, même si elle obtient la permission d’utiliser le parc Delorimier les dimanches où les Royaux sont sur la route. Mais les relations avec les Chappies s’enveniment, et au début juillet, la ligue les expulse, jugeant leurs demandes financières trop élevées. Ils avaient alors une fiche de 4-1. La ligue implosera peu après, seul Ahuntsic étant en bonne situation financière.

Ne se laissant pas abattre, les Chappies restent à Montréal, continuant à jouer un peu partout, contre un peu n’importe qui. Le 5 août, ils battent les Brooklyn Royal Giants et leur as lanceur Dick ‘Cannonball’ Redding par 5-4 devant 4,000 spectateurs au parc DeLorimier. Une semaine plus tard, ils disputent une partie contre Beaurivage, de la ligue de la Cité, en première partie d’un double qui met en vedette, dans le deuxième match, les Giants de New York, profitant d’une pause dans l’horaire des ligues majeures, et Ahuntsic. En septembre, ils affrontent les Tigers de Philadelphie, une autre équipe noire ambulante.

Ils vont conclure la saison avec un coup d’éclat : le 14 octobre ils affrontent Ahuntsic qui aura du renfort : Babe Ruth et Lou Gehrig, de passage à Montréal lors d’une tournée à travers l’Amérique du Nord. Si on avait annoncé que les deux vedettes des Yankees, récemment couronnés en Série Mondiale, allaient jouer l’un contre l’autre, ils se retrouvent tous deux avec Ahuntsic. Les Chappies luttent quand même farouchement, et ça prend un circuit de Lou Gehrig en 9e manche pour qu’ils s’avouent vaincus, 8 à 6. Ruth a lancé en relève de Charlie Culver, retirant 3 frappeurs sur des prises. Par contre, le Bambino a lui-même été victime de Lefty Dillard, le lanceur des Chappies.

Chappie semble toutefois avoir pousser le bouchon un peu loin. On raconte qu’en voyant la foule immense, il a demandé qu’on augmente sa bourse. Pour s’assurer leur présence, les organisateurs durent lui donner quelques $200 supplémentaires, en jurant que c’était la dernière fois qu’ils feraient affaire avec lui.

Sentant peut-être qu’il a fait sauter un peu trop de ponts, ou que la compétition est trop forte dans la métropole, Chappie annonce qu’il opérera en 1929 à partir de Québec. Il joindra la ligue Provinciale naissante, qui, un peu comme l’Eastern Canada League 7 ans plus tôt, aura aussi des clubs à Hull, Montréal et Cap-de-la-Madeleine. Cette fois, ce sera sans affiliation au baseball organisé. Johnson lui-même prend la direction de Trois-Rivières pour l’hiver, ayant été recruté comme gérant d’une salle de quilles.

1929 : des débuts prometteurs

Chappie se présente à Québec en 1929 après avoir promis de compléter son équipe avec 5-6 joueurs locaux. Ce nombre sera rapidement revu à la baisse, à 2-3, avant de tomber à zéro. Il ne semble pas que Chappie soit contre l’embauche de joueurs blancs comme tel, mais comme il amène son équipe en tournée entre les matchs de la ligue, et que l’intérêt principal de ces matchs est la présence de joueurs afro-américains, on peut présumer qu’il n’y a pas de véritable intérêt à incorporer des joueurs locaux à son équipe.

La rivalité avec Ahuntsic se transpose en une rivalité entre Québec et Montréal, et les deux équipes se poussent vers l’excellence. Les Montréalais obtiennent la permission d’utiliser deux joueurs (marginaux) des Royaux, William O’Hara et Ralph Brewer. Les Chappies, qui ont perdu leur receveur étoile Duke Lattimore, vont connaître plus de roulement qu’à l’habitude. Le vétéran des Negro Leagues John Cason le remplace derrière le marbre, mais pas dans le cœur des partisans. La nouvelle ligue nous offre les meilleures statistiques de cette période, et nous permet de voir que les nouveaux venus Johnson Hill (,419, 2 circuits en 13 matchs) et Cleo Smith (,679 avec 7 doubles et 2 triples en 7 matchs), aussi des vétérans des Negros Leagues, viennent appuyer Babe Hobson (.468 avec 10 doubles, 1 triple et 1 circuit en 19 matchs). Au monticule, la vedette est Ed Dudley, qui n’aura fait que passer dans les Negro Leagues mais qui domine avec une fiche de 7-1 dans la ligue provinciale.

Malheureusement, les 2 autres équipes de la ligue s’en tirent moins bien, notamment Hull, qui voit son équipe transférée à Québec au début juillet. Ceux-ci, maintenant connus sous le nom des Québec-Lambert, réalisent un coup d’éclat en embauchant Willie Gisentaner, un fameux lanceur gaucher des Negro Leagues. Pas de chance, le match dans lequel il devait lancer est contremandé, et il ne semble pas s’être aligné avec le club. Le Lambert manque de temps et dès la mi-août on passe à la finale opposant les Chappies et le club de Montréal. Les Chappies et leur fiche de 15-4 l’emportent. Pour le reste de la saison, on alterne entre des parties d’exhibition et des défis entre Montréal et les Chappies.

Les visiteurs incluent les Brooklyn Tigers, les barbus de la Maison de David et les Brooklyn Giants. Le meilleur spectacle est cependant offert par les Havana Red Sox et leur lanceur Luis Tiant Sr. L’équipe montréalaise et son gérant Dave Major délient les cordons de la bourse et embauchent un joueur de la Maison de David, 2 joueurs des Havana Red Sox et Gisentaner comme lanceur. Malgré tout, les Chappies balaient le double. La seule consolation pour les Montréalais est qu’ils ont réussi à battre les représentants cubains, ce que les Chappies ne pourront faire en trois occasions.

À la surprise générale, à la fin octobre Chappie annonce qu’il change d’allégeance et signe comme gérant pour 1930 avec le Québec-Lambert.

1930 : le spectacle continue

Chappie se présente à Québec au printemps 1930 sous les ordres de son nouveau patron, J.-A.-T. Lambert. Nous en sommes toujours aux pourparlers pour le retour de la ligue Provinciale, et bien qu’on se prépare, peu de résultats sont obtenus, si bien qu’au début mai, les Chappies annoncent qu’ils seront un club indépendant en 1930. Encore une fois, la décision de Chappie a des répercussions et le projet de la ligue est mort.

La saison manque de punch. Chappie réussit un bon coup avec la venue en juillet d’un grand lanceur gaucher, Nip Winters, peut-être un des meilleurs lanceurs du baseball noir au cours années 1920. Les statistiques montrent une fiche de 60-18 avec Hilldale de l’Eastern Colored League entre 1924 et 1926, menant le club au titre de la Negro World Series en 1925. Il aurait aussi maintenu une fiche de 3-0 avec un sauvetage en 5 matchs d’exhibition contre des clubs des ligues majeures. En 1928, ses problèmes d’alcool menacent déjà sa carrière. Rapidement reconnu comme l’un des meilleurs lanceurs de la province, son match le plus mémorable sera toutefois quand il cogne deux coups de circuits.

Chappie remplit finalement sa promesse d’intégrer un joueur local à son club…d’une certaine façon : le joueur local est Charlie Culver, l’ancien des Negro Leagues, au Québec depuis une décennie.

Les Havana Red Sox sont de retour, et cette fois-ci les Chappies réussissent à remporter 2 des 3 matchs. C’est la version afro-américaine de la Maison de David qui leur donne du fil à retordre, les balayant à la fin août. Localement, c’est le club du promoteur montréalais Jos. Choquette qui leur sert de faire-valoir, remplaçant l’Ahuntsic, qui n’a pas survécu à la fin de la ligue provinciale. Ils partagent une série de deux matchs en septembre.

La saison se termine avec la rumeur que Chappie a accepté un contrat pour diriger un club à Minneapolis en 1931. Pour la première fois en 4 ans, le retour des Chappies est incertain.

1931 : la fin de l’aventure

De retour à Québec au printemps, les Chappies retournent avec le promoteur Napoléon Côté, avec qui ils travaillaient en 1929. La ligue Québec-District en mise sur place, avec deux équipes locales, le Lévis et les Canadiens de Québec, et deux équipes afro-américaines, les Chappies et les Mohawk Giants. On prévoit 30 matchs par équipe, avec des parties au terrain de l’exposition. Le début de saison des Chappies et de la ligue est mitigé. Les foules ne sont pas au niveau attendu. Les Chappies, qui comptent toujours sur Babe Hobson et Charlie Culver, ont perdu plusieurs vedettes et se font balayés par les Canadiens. Ils se font aussi voler un peu la vedette par les Mohawk Giants, qui compte sur le populaire Duke Lattimore derrière le marbre.

Les Chappies partent en tournée dans le nord des États-Unis, et à leur retour au début juin, on leur annonce qu’ils sont expulsés de la ligue pour avoir manqué 3 matchs. Les Chappies ont démontré par le passé qu’ils n’ont pas besoin d’une ligue pour survivre. Par contre, il faut du succès, et le 21 juin ils sont balayés par la Maison de David. La ligue Québec-District ne survit pas et lance l’éponge au début juillet. À la même époque, on perd la trace des Chappies, qui ont quitté la province, environ 4 ans jour pour jour après leur arrivée à Montréal en 1927.

Un bref retour en 1935

Absents complètement de 1932 à 1934, on retrouve les Chappies au Québec en 1935, alors que le baseball québécois a passablement évolué. Une ligue provinciale à 8 équipes a été créée, avec des équipes à Montréal, Lachine, Sherbrooke, Sorel, Granby et Drummondville. Mais à la mi-saison, les finances sont en péril, si bien qu’on laisse tomber le calendrier et on invite à peu près toutes les équipes ambulantes disponibles pour venir affronter les équipes de la Provinciale. C’est dans ce contexte que les Chappies se retrouvent à Granby pour une partie le 24 juillet. Parmi les Zulu Cannibal Giants, les Japanese All Stars, les Cleveland Clowns et la Maison de David, c’est la nostalgie qui donne de l’attrait aux Chappies. On ne manque pas de rappeler leur historique dans la province. On apprend qu’ils font partie d’une ligue dans le nord de l’État de New York, avec entre autres Ogdensburg, Saranac Lake, Watertown et Carleton. Quelques joueurs sont toujours à leur poste, dont Babe Hobson, maintenant receveur, et Charlie Culver, qui semble avoir temporairement quitté le Québec pour suivre Chappie. S’ils blanchissent Granby en ouverture, ils ont peu de succès dans leur tournée, perdant contre Sorel, Lachine et l’équipe de la police de Montréal (qui fait partie de la ligue Provinciale).

Les coffres renfloués par ces exhibitions, la ligue reprend ses activités par la suite. Les Chappies disparaissent aussi rapidement, vraisemblablement pour terminer leur saison dans l’État de New York.

Les Panthères Noires

La Ligue Provinciale continue ses activités en 1936, et admet dans ses rangs une équipe afro-américaine, les Panthères Noires. Si le nom de Chappie Johnson, n’est, à ma connaissance, pas lié directement à cette équipe, il semble, comme l’affirme Merritt Clifton, qu’il ait fourni plusieurs joueurs. Propriété d’un certain Jack Wilson, de Chicago, l’équipe compte sur plusieurs anciens des Chappies, dont Charlie Culver comme gérant. On retrouve aussi le voltigeur Ted Waters, avec l’équipe par intermittence depuis 1929, et Ernie « Black Bear » Jackson, un premier-but qui excelle défensivement mais au bâton léger, un fidèle de Chappie depuis 1927. Le fameux lanceur Nip Winters reviendra aussi faire un tour, maintenant bien en fin de carrière. Il est possible que les vétérans ayant joué au Québec dans le passé se sont portés volontaires pour y revenir, mais il semble plus probable que le tout ait été orchestré par Chappie Johnson.

Les Panthères Noires se maintiennent eu milieu du peloton en 1936 avant de s’effondrer dans le tournoi à la ronde qui fait office de séries éliminatoires. L’édition 1937 laisse de côté la plupart des vétérans et les joueurs de l’époque de Chappie se font rares. Ils glissent dans le fond du classement avec une fiche de 10-50 dans une ligue Provinciale qui s’améliore rapidement. Ils ne reviendront pas en 1938. C’est la fin d’une époque, la dernière fois qu’une équipe liée à Chappie Johnson est présente au Québec

Les joueurs volés à Chappie

Dès son arrivée en sol québécois, Chappie Johnson a toujours eu à négocier avec la possibilité que ses joueurs se fassent recruter par les équipes locales. C’est une pratique qui date d’avant Chappie, les Charlie Culver, Chick Bowden et autres Peerless Green étant restés après la visite de leurs équipes au début des années 1920.

La première mention de telles embauches survient au printemps 1928, alors que St-Hyacinthe, une équipe toujours à la recherche des meilleurs joueurs, embauche le lanceur Wayne Carr et le receveur Harry Creek. Quand les Chappies se font expulsés de la ligue de la Cité à la mi-saison, c’est 6 joueurs qui se retrouvent temporairement avec St-Hyacinthe. C’est un arrangement qui plait probablement à Chappie, empêchant ses joueurs de quitter pendant qu’il met sur pied des matchs d’exhibition qui permettront de payer leurs salaires.

En 1930, Bedford se construit un fort club pour compétitionner dans une ligue comprenant aussi Farnham, Iberville et Sherbrooke. Ils embauchent le lanceur Ed Dudley et le receveur Burnett, tous deux avec les Chappies en 1929. Leurs rivaux de Farnham annoncent avoir signer l’arrêt-court vedette Babe Hobson en avril, mais finalement ce n’est qu’en octobre qu’il les rejoindra.

Le Canadien de Québec, qui tente de lutter avec les Chappies en 1930 et 1931, embauche fin 1930 Nestor Lambertus, un voltigeur cubain qui a surtout joué avec les Havana Red Sox mais un peu avec les Chappies. L’année suivante, c’est aux Mohawk Giants qu’ils soutirent le lanceur Spitball Smith.

En 1935, durant leur brève tournée québécoise, les Chappies cèdent Fred ‘Evil’ Wilson au Granby de la Ligue Provinciale, qui deviendra le seul joueur noir de la ligue. Wilson, un joueur doué mais difficile à gérer, connaîtra dans les saisons suivantes la prison mais aussi les Negro Leagues, avant de revenir dans la province avec le Verdonnet de Québec en 1945. L’année suivante, Granby sera pénalisé pour avoir aligné Ormand Sampson des Panthères après l’élimination de celles-ci, la pénalité étant en restant de son inéligibilité.

Quelques joueurs des Panthères Noires sont restés au Québec, notamment le lanceur Al Flemming, qui roulera sa bosse en province jusqu’au moins en 1951, alors qu’il est joueur-entraîneur à Lachute.

L’impact culturel des Chappies

Les Chappies ont été dans le cœur médiatique de la province pendant plus de 4 ans, et ils ont laissé une marque. Bien entendu, époque oblige, on les décrit souvent avec le mot-en-n. Mais au-delà de ça, c’est plutôt leur talent qui impressionne. Rapidement, quelques équipes de baseball juvénile prennent le nom des jeunes Chappies. Même l’équipe de hockey senior de Thetford Mines adopte le nom à partir de la saison 1929-30. En 1931, on décrit comme les « Chappies de la Beauce » l’équipe de baseball championne de la région. On dit d’ailleurs que leur jeune joueur de premier-but doué défensivement joue « à la Jackson », une référence à Ernie ‘Black Bear’ Jackson, le premier-but des Chappies.

Un hommage qui a mal vieilli a lieu à Lévis en 1931, alors qu’après une fête religieuse, les jeunes paroissiens jouent au baseball, se divisant en deux groupes, le National et les Chappies, du nom des équipes de la ligue Québec-District. Pour bien diviser les groupes, les Chappies se noircissent le visage.

Périodiquement, l’actualité va faire qu’on se rappelle des Chappies, même plusieurs années après leur départ. Quand la United States Negro Leagues vient jouer un match à Québec en 1945, le Soleil déclare que sa rappelle la belle époque des Chappies et des Mohawk Giants. À Montréal, le journal Le Canada va même plus loin : «À Montréal, on a toujours aimé voir les joueurs de baseball noirs à l’œuvre. On se souvient encore des Chappies Johnson, surtout du receveur Lattimore qui émerveillait les spectateurs avec son jeu derrière le marbre ainsi que par son rendement au bâton. Si les noirs avaient été acceptés dans le baseball organisé, on n’aurait pas vu longtemps Lattimore à Montréal. En voilà un, en effet, qui était du véritable calibre des majeures. »

En 1951, alors que la ligue Provinciale est dans le baseball organisé, les Pirates de Farnham sont dirigés par le premier gérant afro-américain dans une ligue affiliée, Sam Bankhead. Son équipe est majoritairement afro-américaine, ce qui amène le Nouvelliste de Trois-Rivières à appeler l’équipe les Chappies plusieurs fois durant la saison.

Chappie Johnson est décédé le 17 août 1949 en Caroline du Sud. Au moins un média québécois, le Nouvelliste de Trois-Rivières, a mentionné son décès dans les semaines suivantes, rappelant son hiver passé à gérer une salle de quilles locale.

L’auteur John Craig, de Peterborough en Ontario, publie en 1979 « Chappie and me », un roman semi-autobiographique qui raconte comment un jeune blanc se joint à l’équipe ambulante de Chappie Johnson en se colorant le visage pendant quelques mois à l’été 1939. Bien qu’il ne faille pas prendre les descriptions comme des faits historiques, les Chappies sont décrits comme une équipe purement ambulante qui promène leurs projecteurs pour jouer les soirs, ce qu’ils n’avaient pas lors de leur séjour au Québec. Ils font aussi le tour des États-Unis et du Canada pendant l’été, avant de retraiter dans les Caraïbes pour l’hiver. Craig écrit aussi que les Chappies passaient dans sa ville (présumément Peterborough) à toutes les années durant sa jeunesse, ce qui pourrait être possible à partir de leur base au Québec ou dans l’état de New York. Notons aussi que le roman contient une brève mention du Québec, quand le protagoniste et quelques coéquipiers rencontrent un cuisinier Canadien-Français dans une foire en Illinois. Celui-ci se rappelle les avoir vu jouer à Trois-Rivières, un hasard (ou pas) sympathique étant donné l’historique de Chappie avec cette ville.

Le livre puis la comédie musicale qui en sera tirée vaudront quelques mentions dans les journaux québécois des années 80, malheureusement sans qu’on fasse le lien avec son histoire locale.

Conclusion

Il est difficile de savoir à quoi pensait Chappie Johnson quand il s’est présenté au Québec. Était-ce une terre accueillante, une occasion d’affaire ou un peu des deux? Au final, il aura fortement contribué à donner bonne réputation au baseball afro-américain parmi les Québécois en offrant de bons spectacles un peu partout dans le sud de la province. Comme certains des joueurs qu’il a amené sur nos terrains auraient dû jouer dans les plus grands stades du continent, Chappie a offert à plusieurs localités du baseball d’un calibre fort relevé, peut-être le meilleur qu’ils ont pu voir.

Les journaux de l’époque ne font pas de liens entre Jackie Robinson et Chappie Johnson. Mais il fait peu de doutes que la présence médiatique constante des Chappies pendant 5 étés va normaliser le baseball afro-américain. Sa présence a aussi forcé ses rivaux à tout faire pour leur tenir tête, même à intégrer des afro-américains dans leur club. Le rôle de Chappie avec les Panthères Noires est plus incertain, mais cette équipe a joué un rôle crucial dans la montée en puissance de la Ligue Provinciale, assurant des revenus stables à cette ligue à la recherche de crédibilité.

Peut-être que le Québec n’était qu’une patrie où Chappie pouvait faire la piasse facile, sans trop de compétition. Mais même si ce n’était pas son but, il a ouvert la voie.